Tu tournes "là" !

Hier après-midi, au retour d'une promenade estivale sur le sentier côtier, nous étions trois dans la voiture : mon fils et moi, tous les deux autistes, et mon mari, non autiste. Mon fils était au volant, non pas parce qu'il aime conduire (il déteste cela...), mais parce qu'il vient tout juste d'obtenir son permis et doit encore s'exercer avant de se sentir en confiance sur la route.

En plus des TSA, mon fils et moi partageons aussi la hantise de commettre une erreur en conduisant, de nous perdre en chemin, ou d'être victimes de l'inconscience des autres automobilistes, en particulier ceux du genre "excités", qui surgissent de nulle part et vous doublent sur la droite aux rond-points. 

"Tu te rappelles ? a demandé mon mari en riant et en montrant une rue sur la droite. Nous tourné la tête et avons reconnu la voie sans issue, dans laquelle mon fils s'était engouffré il y a déjà trois ou quatre mois, alors qu'il était encore en conduite accompagnée. "Je ne comprends toujours pas pourquoi tu as eu l'idée saugrenue de tourner là..." a ajouté mon mari, espérant une explication. 

"C'est parce que tu m'en avais donné l'instruction !", a simplement répondu mon fils. 

Mon mari a hoché la tête, il ne comprenait toujours pas. Comment un jeune homme intelligent peut-il tourner sur la première route venue, sans réfléchir, et se retrouver coincé dans un cul-de-sac, alors qu'il suffisait de tourner une centaine de mètres plus loin pour s'engager vers la route nationale... ? C'était pourtant évident, non ?

Eh bien non, mon cher époux neurotypique, ce n'était pas si évident que cela. Précisons d'abord que notre jeune conducteur était dans un état de stress, comme cela est fréquemment le cas pour les personnes autistes à l'extérieur : parce que l'environnement est bruyant et agité, parce qu'il fournit de multiples stimuli et informations à trier et à gérer. Le cerveau devient vite surchargé, donc de moins en moins disponible pour analyser une situation et prendre les bonnes décisions.

Observons ensuite comment tu as transmis tes instructions : "Tu tournes là"... Alors que le cerveau de ton fils s'efforçait de repérer les panneaux de signalisation, tu lui as dit que c'était "là". En toute logique autistique, "là" veut dire l'endroit que tu désignes au moment où tu l'énonces. Il était donc normal de tourner "là", dans la première rue qui se présentait.

Mon fils s'est mis à rire à son tour, satisfait de se savoir soutenu. "Si tu m'avais expliqué que je devais tourner à droite là-bas, à une centaine de mètres plus loin, alors je n'aurais pas tourné ..."

Cette anecdote illustre bien comment l'imprécision langagière des non autistes perturbe la vie des autistes. Ce jour-là, les conséquences avaient été sans gravité, mon fils avait dû effectuer une manœuvre pour sortir de l'impasse, ce qui l'avait entraîné à utiliser la marche arrière et le rétroviseur... Mais imaginez le ras-le-bol des personnes autistes au quotidien, à l'école ou au travail, quand on leur dit de "terminer ça à l'heure" ou de "ranger ça là" !

"Comment feras-tu demain, quand tu ne vivras plus à la maison ?" s'inquiète parfois mon mari en constatant que notre fils n'est pas encore autonome dans tous les domaines. "Papa, demain..., je serai encore à la maison, s'amuse-t-il à lui répondre. Pour le reste on verra plus tard, d'ici quelques années." 


   

 

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